10 septembre 2009

Epidémie, la série en entier !

La sonnerie l'a réveillé sur le coup des 4h du matin. Il a d'abord cru que c'était le réveil et a tâtonné sur sa table de nuit pour l'éteindre. Ensuite, il a eu un moment de doute. Il était en plein rêve légèrement érotique. Il ne savait plus du tout où il était.

Entre la belle blonde qui s'était dissipée au premier retentissement de l'engin électronique, et la brume du sommeil pâteux dans lequel il glissait souvent à cause de la cocaïne, il ne savait plus.

Pourtant, les plafonds ouvragés et les lourdes tentures de la déco lui remirent vite les pieds sur terre. Il était maintenant président, même s'il n'était pas encore habitué. Il était à l'Elysée.

"Putain ! Mais qui peut bien me déranger à cette heure !", bougonna-t-il en saisissant son téléphone portable.

Les consignes étaient pourtant claires : uniquement en cas de force majeure.

Il n'avait pas été élu pour bosser. Déjà qu'il était beaucoup moins payé que ses amis patrons...

En pleine nuit, ce ne pouvait être qu'un drame affreux sur lequel il pourrait rebondir médiatiquement le lendemain. Il l'espérait. Parce qu’autrement, son interlocuteur allait passer un sale moment.

"Allo, Monsieur le président ?" lança une voix gênée et obséquieuse.

"Non, c'est Pizza Hut !", répondit l'interlocuteur élyséen. Ce n'était pas de l'humour. Juste de l'agacement.

"Monsieur le président, si nous nous permettons de vous contacter en pleine nuit, c'est pour une bonne raison. L'épidémie de Grippe A/H1N1, ça vous dit quelque chose ?", enchaîna la voix, d'une manière beaucoup plus assurée.

"C'est une plaisanterie ? Bien sûr...enfin...la grippe...Mais qui êtes-vous d'abord ?"

"Peu importe qui nous sommes. Nous devons juste vous informer plus précisément sur la grippe A/H1N1.", reprit la voix.

Le président n'y comprenait plus rien. Il pensa un instant que son rêve érotique s'était juste transformé en cauchemar. Ou en canular.

Il avait pourtant eu de bon briefing sur la grippe. Il avait écouté pendant des heures ses conseillers, les types du ministère de la santé et même le ministre lui-même, qui était pourtant un abruti notoire.

Ils lui avaient tous dit à peu près la même chose. En substance, le virus était pour l'instant celui d'une grippe ordinaire, simplement un peu plus contagieux, mais pas vraiment de quoi s'inquiéter. Certes la bête pouvait muter, au contact du virus de la grippe saisonnière, et devenir un peu plus virulent. Malgré tout, il ne devrait pas faire beaucoup plus de morts que chaque hiver, soit entre 2000 et 5000...

Tout de suite, évidemment, il avait pensé plan de com'.

On allait facilement occuper les médias pendant quelques mois avec ça. Un os à ronger pendant que le capitalisme sauvage repartirait de plus belle dans le reste du monde.

"Tout ce que vous savez sur cette grippe n'est rien au regard de la réalité et de la complexité médicale du virus. Tout ce que je vais vous révéler est strictement confidentiel. Il faut que vous sachiez que tous les chefs d'Etat importants de la planète sont informés en même temps que vous, au moment même où je vous parle."

Le président se trouvait propulsé dans une sorte de film d'espionnage mondial. Il se sentit soudain investit d'une mission qui le grandissait...

"Je suis à votre écoute."

"Un congrès ultra secret de médecins du monde entier et de grands patrons de l'industrie pharmaceutique s'est réuni il y a trois jours à Seattle. Nous avons mis en commun tout ce que nous savions et tout ce que nous avions observé sur cette grippe qui n'en est pas tout à fait une, reprit la voix au bout du fil.

- Comment ça ? Ce n'est pas la grippe ?, s'étonna le premier homme de France.

- Non. Les cas dont la presse a parlé ne sont qu'un tout petit bout de l'iceberg. Même pas toute la partie immergée. La situation est bien plus grave."

La voix au bout du fil restait très solennelle. Après avoir repris son souffle, elle reprit son explication. Tout était clair et on sentait que l'homme, sans doute un scientifique, faisait tout pour simplifier.

"Beaucoup de cas n'ont pas été signalés au grand public. La communauté scientifique n'a pas tenue à affoler la population. Seulement, ces derniers temps, quelques informations ont filtré : vous avez sans doute déjà entendu parler des cas qui sont morts alors qu'ils ne présentaient aucune prédisposition pour cela : pas de problème respiratoire, pas de grossesse...Des personnes en bonne santé.

C'est là que ça se corse.

En fait, l'épidémie est déjà beaucoup plus avancée que ce qu'on pense. Les symptômes ne sont pas forcément ceux de la grippe au début."

"Pas forcément les mêmes signes ? Vous savez que je suis un peu hypocondriaque ? Un peu comme Michel Drucker...", plaisanta le président. Il s'était réveillé, sous le coup de la surprise, mais il tenta de détendre l'atmosphère. Cependant, la plaisanterie ne fit pas beaucoup rire le mystérieux correspondant téléphonique...

"Revenons-en justement aux symptômes cliniques : ils peuvent être variés. Ganglions gonflés et douloureux, boutons douloureux à l'arrière de la langue, malaise, trouble de la vue, fortes migraines...En fait, plus nous examinons les cas déclarés, plus nous analysons les dossiers des personnes décédées, plus nous notons une variété presque infinie de signes. C'est ce qui est effrayant. Après s'être manifesté d'une manière anodine, le virus agit très vite et de manière très virulente."

Le président se surprit à transpirer. Non, vraiment, ce n'était pas le moment de plaisanter...

"Combien de cas ont été cachés au public ? C'est incroyable : pourquoi n'avez vous pas prévenu les autorités plus tôt ? Depuis combien de temps tout ce truc dure-t-il ??? s'énerva soudain l'élu, nous devons faire quelque chose ! Si ça venait à se savoir, on serait dans de beaux draps ! Pire que l'affaire du sang contaminé ! L'attitude de la communauté scientifique est irresponsable, nom de Dieu !

- Ne vous énervez pas. Nous ne pouvons rien faire. Pour l'instant, nous ne pouvons rien faire !, martela la voix au bout du fil, trop tranquille pour ne pas agacer encore plus son interlocuteur.

- Rien ?! Mais vous ne savez pas d'où viens ce problème ? Vous ne savez pas combien de victime cela fera ? Vous n'avez pas identifié le virus ? Vous ne trouvez pas de vaccin ??? Et comment se protéger ?

- Calmez-vous. Soyez digne de votre fonction, faites preuve de sang-froid."

Du sang froid, alors qu'une épidémie de plus en plus visible ravageait la planète ? Difficile.

La voix reprit, toujours calmement, toujours froide.

"L'épidémie, dans l'hémisphère sud, là où l'hiver a déjà commencé, est beaucoup plus rapide que tout ce que nous connaissons. Même le SIDA n'était pas aussi rapide. Nous savons que le virus se transmet par les voix respiratoires, nous savons qu'il est volatile, que la salive est un vecteur de choix. Cependant, le virus pourrait bien être plus virulent que d'habitude. Il reste vivant entre deux et quatre heures sur les surfaces froides. Mais surtout il ne tue pas seulement des gens malades. Vous demandiez des chiffres, voici le plus significatif : parmi les décès constatés, entre 40 et 50 % sont ceux de porteurs "en bonne santé".

Dans un premier temps, l'OMS prévoyait les chiffres des victimes en milliers. Il faut sans doute revoir tout ça à la hausse : ce seront sûrement des millions d'êtres humains qui vont y passer. "

Le jour se glissait doucement entre les lourdes tentures de la chambre présidentielle.

En 2007, dans le monde, 2 millions de personnes sont mortes du SIDA. Une épidémie aussi, mais qui ne fait pas les gros titres des journaux. Le mandat présidentiel pourrait peut-être encore résister à cette nouvelle pandémie...

Qu'y pouvait-il, lui, d'ailleurs ?

"- On n'a aucune idée d'où cela vient ?, relança-t-il.

- Si. On en a une idée. Il ne serait pas impossible que la pollution y soit pour quelque chose."

"La pollution ? Qu'est-ce que la pollution peut bien avoir à faire là-dedans ?"

Encore un sujet qui l'agaçait au plus haut point. Un sujet porteur, à la mode, certes : il fallait communiquer sur le thème, ça plaisait à l'électorat. Dans le fond, le président ne croyait pas au réchauffement climatique. Pas vraiment. Et puis, il s'en fichait. La planète survivrait, l'homme se débrouillerait et après lui, le déluge !

"Comme on le sait maintenant, argumenta le scientifique, il n'existe plus d'espace exempt de pollution sur Terre. Même les neiges éternelles, au sommet des plus hautes montagnes, quand on les analyse, présentent des taux de carbone anormalement élevés. La pollution humaine est dans chaque particule du monde.

Pour les êtres humains, il en est de même : plus un seul être humain ne peut être considéré "en bonne santé". Au cours des millénaires précédents, les évolutions du milieu dans lequel l'homme vit étaient suffisamment lentes pour que l'homme effectue les mutations génétiques pour s'adapter. Mais la pollution des 50 dernières années a modifié l'environnement si rapidement, que les êtres vivants n'ont pas pu muter.

Vous saisissez ? Les êtres humains ne sont pas vraiment malades, mais ils ne sont plus adaptés au milieu qu'ils ont pourtant contribué à créer..."

L'esprit du président s'était échappé. Il se tenait debout, devant la fenêtre de sa chambre, il avait ouvert les rideaux. Une belle journée s'annonçait. Au cœur de Paris, évidemment, la pollution devait être maximum. Il venait d'apprendre qu'il était un inadapté, comme tout le monde...

"Je ne comprends pas forcément le rapport avec cette grippe qui n'en est pas une...", murmura le président.

Il avait parlé presque pour lui-même, mais l'interlocuteur se mit en devoir d'expliquer :

"- Les êtres sont moins résistants. Même s'ils paraissent en bonne santé, selon tous les critères que nous connaissons, ils sont néanmoins malades. Ou du moins, diminués. Leurs défenses immunitaires sont moins bonnes et une pneumonie virale les tue.

- Vous en parlez comme si cela ne vous concernait pas ! Tout le monde est dans le même panier, si j'ai bien compris ! ironisa le président, comme pour se rassurer de n'être pas tout seul dans cette galère.

- L'élite de la communauté scientifique, en toute connaissance de cause, a pris la décision de se protéger prioritairement. Mais là n'est pas la question...Durant les prochains mois, donc, des tas de gens vont...

-Comment !, l'interrompit l'homme politique. Vous vous êtes protégés prioritairement !!! Mais c'est une aberration !!! Ce sont les chefs d'État qu'il faut protéger !!! Ceux qui dirigent le monde !"

Il était à deux doigts de raccrocher, angoissé comme jamais.

"- Ceux qui pourront trouver une solution au problème doivent être protégés ! Sans eux, point de salut pour les autres, repris, goguenard, la voix mystérieuse. Et pour trouver au plus vite une solution, les chefs d'État devront faire tout ce qui est en leur pouvoir pour les aider. Les services hospitaliers, tous les services de santé vont devoir être au maximum de leur capacité pendant le pic de la pandémie. Il va falloir renflouer ce secteur trop négligé par une politique libérale. C'est à ce prix que la belle mécanique du système capitaliste pourra continuer à tourner, Monsieur !"

Sans voix, tournant en rond dans sa chambre élyséenne, l'élu s'essuya le front.

Tous les hommes d'État qui comptaient, étaient eux aussi, au même moment, sommés d'en revenir à de plus sages et à de moins libérales dispositions.

La paralysie du système pour grippe A, évidemment, l'idée l'avait effleuré. Mais en bon français, finalement, il avait évacué ça d'un geste de la main et d'un rire moqueur. En France, on croit toujours un peu que le malheur, c'est pour les autres.

On a toujours tendance à croire que les médias en font trop, qu'on alimente la psychose avec des fantasmes et qu'on ne va pas mourir demain.

Et le libéralisme, tout le monde le sait : there is no alternative...

A ce moment-là, alors que le correspondant du président s'apprêtait à raccrocher, en promettant de rappeler, la première dame de France entra dans la pièce en éternuant.

Vers 13 heures, comme tous les jours depuis le début de l'été, escorté d'une petite dizaine de gardes du corps, l'homme que les Français avaient choisi pour diriger leur pays sortit pour faire son jogging.

Le malaise qu'il fit ce jour-là, en secret, par les chirurgiens éminents du Val-de-Grâce, fut diagnostiqué comme un symptôme avant coureur de la grippe A...

FIN.
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6 commentaires:

  1. J'aime la fin, j'aime le début... J'aime tout.

    et j'ai surtout aimé suivre la nouvelle, pas à pas. Merci pour ce bon moment.

    A bientôt

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  2. Le suivi de cette nouvelle fut très plaisant : à quand la prochaine?

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  3. Excellent. Brillant. Contagieux j'espère !

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  4. http://www.lemonde.fr/politique/article/2009/09/10/le-derapage-de-brice-hortefeux-a-l-universite-d-ete-de-l-ump_1238744_823448.html#ens_id=1238747

    Brice Hortefeux, démission.

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  5. Tu crois qu'on peut attraper cette maladie à la seule lecture d'un article ou d'un billet qui en parle ?

    Parce qu'au point où on en est, c'est la psychose absolue chez certains.

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